L R AS Publié le mercredi 1 décembre 2021 - n° 384 - Catégories : Regard sur le PV
Regard sur la situation de l’industrie PV chinoise
Depuis dix-huit mois, le monde photovoltaïque est accaparé par une crise du silicium, par une pénurie de matériaux, par une hausse de prix. Un message bien rodé a fait croire au monde que les chinois n’y étaient pour rien et que cette crise était temporaire. Seulement, avec la publication des comptes trimestriels des entreprises, on s’aperçoit qu’il y avait une abondance de silicium, que la hausse des prix a permis aux acteurs de réaliser des bénéfices plantureux, que la « communication » a été montée de toute pièce, et que les arguments présentés étaient faux.
Retour sur une histoire du silicium de ces dix-huit derniers mois
résumé
La présentation officielle de la situation La situation de la profession relayée par les commentateurs : on attend du silicium supplémentaire pour faire baisser les prix des panneaux
Cette présentation ne parait pas exacte : la pénurie de silicium n’existe pas pour les différentes entreprises de la profession
Des résultats financiers mirobolants chez les industriels du photovoltaïque : cette « crise du silicium » a permis à toutes les entreprises de réaliser d’importantes augmentations d’activité, et une forte amélioration de la rentabilité
Peu de fiabilité : Les nouvelles en provenance de la Chine ne sont donc pas crédibles. Les industriels chinois ont fait payer aux acheteurs leur situation de quasi-monopole. Même la mise en exploitation de nouvelles lignes de production de silicium pourrait ne pas assurer une décrue des prix. Les entreprises ont trop pris l’habitude de croissance de leur activité et de leurs bénéfices
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Le texte
A regarder en surface, la filière industrielle de production de panneaux est en attente.
La présentation officielle de la situation
Les fabricants de silicium maintiennent leurs prix à un niveau élevé (autour de 269 RMB/kg), travaillent à pleine capacité et attendent les mises en service d’unités de production dont la montée en puissance se manifestera au cours du premier trimestre 2022. D’ici là, il y a attente des fabricants de plaquettes, avec une surveillance étroite de cette augmentation de volume qui devraient selon eux inciter les producteurs de silicium à être moins stricts sur les prix
Les fabricants de plaquettes maintiennent leurs prix en attendant qu’il y ait un déclic sur les prix du silicium. En l’attendant, les prix varient peu sauf cette semaine sur les plaquettes M10 (182 mm) car le n° 1 mondial LONGi voulait conclure un gros contrat de livraison avec DAS Solar. Pour cela, il a réduit ses prix de 6,8 %. Il ne faut pas voir ce recul comme une amorce de baisse des prix car le prix des autres formats de plaquettes M6, G12 n’a pas varié. Les producteurs sont partagés entre acheter du silicium au niveau actuel (donc cher), le transformer en plaquettes à un prix élevé alors que le marché pourrait se dégeler et les prix baisser. Ils ne peuvent pas risquer une perte financière pour faire plaisir aux fabricants de cellules. Dès lors, même s’ils accumulent des stocks, ils évitent de bouger
Les fabricants de cellules sont entre deux feux. D’un côté, des assembleurs de panneaux qui refusent (dit-on) les hausses de prix de cellules car les acheteurs de produits finis ne veulent pas ou ne peuvent pas rentabiliser leurs projets de construction de centrales ou d’installations résidentielles. Ainsi, les acheteurs de l’aval des cellules (les fabricants de panneaux) refuseraient les hausses. De l’autre côté, les producteurs de silicium ont lancé des hausses de prix suivi par les fabricants de plaquettes. Les fabricants de cellules sont tentés de réduire un peu les prix pour que les fabricants de panneaux puissent écouler leurs productions.
Les assembleurs de panneaux exécutent les commandes mais restent réticents àla prise de nouvelles commandes car il faudrait que les prix puissent être certains ou révisables. Or, les acheteurs refusent les révisions de prix. Ils ont eux aussi tendance à vouloir réduire leurs prix afin de trouver des acheteurs. Alors, des indications largement diffusées font croire que les fabricants de panneaux réduisent leurs productions à 50 % ou à 60 % de leurs capacités afin de faire pression sur les fabricants de plaquettes et de cellules afin que ceux-ci restent « raisonnables ».
Cette présentation ne parait pas exacte :
Ce schéma a été répété depuis deux mois à satiété par les industriels de la filière et repris par les commentateurs du marché. Or ces derniers ne sont pas allés sur les lieux de production pour déceler quel est le taux exact de production. En effet, un taux de 50 % d’utilisation des capacités entrainerait des charges fixes non absorbées par la production et mettrait les entreprises en faillite. De plus, ce taux est peu crédible car depuis douze mois, d’importantes quantités de nouvelles lignes de production ont été mises en service afin de pouvoir saturer le marché, et étouffer les concurrents qui ne sont pas aussi ambitieux ou aventureux. Enfin, les chiffres d’affaires des cinq principaux fabricants de panneaux démentent totalement cette réduction de production car, au cours de premier semestre 2021, les quatre principaux fabricants de panneaux ont vu leur chiffre d’affaires augmenter de 74 %, 66 %, 61 %, 49 %. Où y a-t-il la restriction de production qu’on nous a annoncé ?
Surtout, il est impossible de déceler le vrai du faux dans les messages provenant de Chine : les différents acteurs, les commentateurs, mais aussi les chefs d’entreprises de la filière doivent se conformer aux ordres du Parti Communiste et ne peuvent pas s’en écarter. Ainsi rien ne dit que la hausse du prix du silicium soit un phénomène purement économique et n’est pas un phénomène politique. Pour s’en convaincre les premières critiques américaines contre le travail forcé des populations Ouigours (du Xinjiang) datent de juillet 2020. Elles sont concomitantes avec le début de la hausse du prix du silicium, pour laquelle on nous a expliqué qu’il y avait eu des explosions et des inondations chez un ou deux producteurs de silicium. On remarquera que l’émergence des hausses de prix sont intervenues au second semestre 2020 et que c’est la période de diffusion planétaire de la campagne de lutte contre les importations du Xinjiang, et aussi de la politique de dénonciation du silicium produit par le chinois Hoshine.
Sans pouvoir affirmer l’exactitude de cette corrélation, la concordance des mesures antichinoises provenant des Etats-Unis et de la hausse du prix du silicium est troublante. Surtout, ce serait bien dans la façon d’agir chinoise : au lieu de relever que les mesures antichinoises doivent être suivies de mesures de représailles sur le même terrain, les chinois ont l’habitude d’utiliser un autre terrain pour réagir. Or quoi de mieux que le silicium et la fourniture de panneaux. La Chine en est le fournisseur mondial à 80 ou 90 %. C’est un excellent terrain de représailles ! Il permet d’augmenter les prix, de restreindre la vente mondiale de panneaux, de priver les étrangers des panneaux permettant de réduire les coûts de production de l’énergie, de limiter la compétitivité des entreprises qui voudraient mais ne peuvent pas s’approvisionner en panneaux, et accessoirement de limiter la compétitivité des pays étrangers au profit des entreprises chinoises. La Chine aurait tout intérêt à mener cette politique puisque le quasi-monopole chinois rend obligatoire le recours aux produits fabriqués dans l’Empire du Milieu
Des résultats financiers mirobolants chez les industriels du photovoltaïque
Pour percevoir l’amélioration de la rentabilité chez Zhonghuan, 2ème producteur mondial de plaquettes, on notera que la société publie au titre des neuf premiers mois un chiffre d’affaires de 29 milliards de RMB (+ 115 %) et un bénéfice net de 2,75 Mds RMB (+ 220 %), soit une marge nette de 9,5 % du chiffre d’affaires. Pour éviter les comparaisons brutales, la société utilise alternativement la monnaie de publication, en dollars au 1er semestre, en RMB sur neuf mois.
Au cours du 3ème trimestre le chiffre d’affaires de Zhonghuan atteint de 11,8 milliards de RMB, ce qui a fourni un bénéfice net de 3.140 M RMB, soit une marge nette de 26,6 % du chiffre d’affaires. Au moment où on annonçait des restrictions de silicium, la société parvenait à presque tripler sa marge nette !
LONGi, le n° 1 mondial de fabrication de plaquettes et assembleurs de panneaux, est toujours le dernier à publier ses comptes trimestriels. Il n’a pas encore publié ceux du 3ème trimestre. Au premier semestre, le chiffre d’affaires a augmenté de 75 %, la marge brute a augmenté de 2,2 points à 22,7 %, pour une augmentation d’expéditions de plaquettes de 36 %. Ceci indique les effets des hausses de prix.
Même si LONGi et Zhonghuan les deux plus gros producteurs de plaquettes, ont pris des parts de marché à leurs concurrents, il faut souligner qu’il n’y a eu à aucun moment pénurie de silicium.
On n’a pas encore les chiffres officiels de production de la Chine.
Ainsi, entre l’opacité des informations chinoises, la manipulation des renseignements donnés par les dirigeants d’entreprise et la « coordination » par les pouvoirs publics qui sont préoccupés par l’intérêt de la Chine et non par celui de l’économie mondiale, il est difficile de s’y retrouver
Ce qui est certain c’est que la crise du silicium lancée il y a quinze mois a permis aux producteurs de ce matériau de base de réaliser des bénéfices inespérés. Ainsi, Daqo a réalisé au premier semestre une marge nette de 69 % de son chiffre d’affaires (il n’y a pas d’autre société de production de silicium cotée qui doive publier ses données comptables).
Le n° 1 mondial de production de cellules et aussi producteur de silicium, Tongwei, a réalisé au cours des neuf premiers mois de 2021 un bénéfice net en hausse de 80 % sur l’année 2020. C’est à comparer à la marge nette du 1er semestre qui était de 11,3 %. Là encore les industriels ont profité de la situation tendue et de hausses de prix pour faire des bénéfices.
Seuls les assembleurs de panneaux n’ont pas profité de la fête pour réaliser des bénéfices plantureux. Ils ont augmenté leur chiffre d’affaires du 1er semestre de 74 % chez LONGi, de 61 % chez Trina Solar, de 49 % chez JA Solar, de 66 % chez Canadian Solar : au 1er semestre, Trina Solar a obtenu une marge nette de 3,6 % de son chiffre d’affaires, JA Solar 4,6 %, Jinko Solar 2,8 % Canadian Solar 1,3 %. Cette marge nette rappelle celles des années 2015 lorsqu’il y avait une forte concurrence entre les différents acteurs. En revanche, la progression des chiffres d’affaires semestriels indiquent qu’il y avait en quantité suffisante du silicium, des plaquettes, des cellules pour vendre des panneaux. Dès lors, les 50 % des capacités de production utilisée par les industriels sont donc une fable
Peu de fiabilité
Il ressort de ce panorama que l’information en provenance de Chine n’est pas fiable. Dans ce pays, on se met d’accord sur le message à l’usage du reste du monde. Il est très certainement orienté en faveur des intérêts de la nation chinoise qui profite du quasi-monopole dans les quatre étapes de la production photovoltaïque. Il n’y a donc pas de rationalité économique. Dès lors, l’obtention d’une position prépondérante a permis aux fabricants de réaliser des bénéfices plantureux. Il est certain que les producteurs chinois ont avantage à maintenir cette position de force dans la fourniture des composants. Les occidentaux doivent reconstruire une industrie qui n’est pas seulement silicium, plaquettes, cellules, mais aussi verre, plaque de fond, pâte d’argent, cadre en aluminium, … Cela prendra du temps. Durant cette reconstruction, les chinois chercheront à la contrecarrer avec la livraison des produits à bas prix.
Malgré la perspective d’une mise en service de plusieurs usines de production de silicium, il n’est pas certain qu’il y aura une baisse des prix au premier semestre 2022 car les mauvaises habitudes persisteront, car le monde réclamera des panneaux, parce que les chinois trouveront une bonne excuse pour signaler que la production est entravé par … (à remplir avec tous les mauvais motifs que vous pourrez trouver), que les coûts d’acheminement par bateau (entre 5 et 10 fois les tarifs d’il y a deux ans) empêchent les baisses de prix… Seulement cette attitude pourrait être attaquée si étaient votées les mesures américaines au profit d’une production nationale. Espérons que les européens sauront tirer la leçon de cette période 2020-2021 pour éviter de dépendre des chinois pour un produit si important pour l’avenir énergétique